Au Sénégal, malgré des initiatives depuis les années 1970 pour tenter d’intégrer les six principales langues locales (wolof, pulaar, sérère, diola, mandingue et soninké) à l’enseignement public élémentaire, l’apprentissage en français reste la norme.
Plus de 90 % des enfants débutent leur scolarisation dans cette langue que beaucoup ne comprennent ni ne parlent, au point d’être un obstacle à l’apprentissage, parfois même un blocage. « L’enfant perd tous ses acquis et prend du retard, ce qui explique en partie les nombreux échecs et décrochages scolaires », analyse Mbacké Diagne, inspecteur général de l’éducation nationale et de la formation, chargé des langues nationales au sein du ministère.
Moins de 10 % des Sénégalais de 15 ans atteignent les niveaux de compétence minimum en lecture, en mathématiques et en sciences, selon le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA, 2017).
S’appuyant sur le fait que les enfants qui reçoivent un enseignement dans une langue qu’ils parlent à la maison ont 30 % de chance en plus de savoir lire à la fin de l’école primaire, l’ONG sénégalaise Associates in Research & Education for Development (ARED) a mis en place le programme « Ndaw Wune » à l’été 2021 pour lutter contre cette crise de l’éducation accentuée par le Covid-19. « L’apprentissage en langue maternelle permet d’acquérir plus facilement et mieux les bases », assure Mamadou Ly, son directeur.
Une « béquille »
ARED œuvre dans le domaine de la formation, de l’éducation et de l’édition en langues locales depuis 1991. Avec un budget de 600 000 dollars (environ 564 000 euros), le programme « Ndaw Wune » a été étendu depuis décembre à quatre régions du Sénégal (Kaolack, Saint-Louis, Diourbel et Matam) et touche 4 000 élèves de cours d’initiation (CI) et cours préparatoire (CP). Dispensé en trois langues (wolof, sérère et pulaar), ce tutorat s’étale sur une année scolaire, vacances scolaires incluses.
Trois fois par semaine, de 16 heures à 18 heures, des groupes de 20 élèves se réunissent en classe. Pour la lecture, un groupe en « apprentissage » travaille avec le tuteur, tandis que deux autres sont en « autonomie », réalisant des exercices sur un manuel en langues locales conçu par ARED. Le même principe s’applique pour les mathématiques, avec deux groupes par classe. « Le travail en autonomie et en petit groupe les aide à mieux comprendre, cela les responsabilise et favorise l’entraide », constate Fatou Gueye Niass, tutrice du programme « Ndaw Wune » à Kaolack.
Cette approche d’enseignement flexible vise à ce qu’en fin d’année, tous les élèves aient acquis les bases dans ces deux matières. Ils sont évalués mensuellement, et des progressions sont déjà notables : Fatou Niang, 12 ans, est ainsi passée de la 18e à la 8e place dans sa classe. « Ce programme est une béquille, il permet la compréhension par assimilation », remarque Malick Fall, directeur de l’école Guedel-Mbodji.
Formés et évalués régulièrement par des superviseurs, les tuteurs s’appuient sur un guide détaillant chaque leçon en fonction des niveaux. « Les élèves sont nos enfants, on veut les aider pour qu’ils réussissent », assure l’enseignante Ndeye Penda Soumaré, qui indique être rémunérée 50 000 francs CFA par mois (76 euros).
Outils didactiques
Si certains craignaient que le français soit délaissé au profit des langues locales, désormais, parents comme enseignants s’accordent sur les progrès du programme. « Les gens commencent à comprendre que les langues locales sont importantes et peuvent avoir la même dignité que d’autres », se félicite Malick Fall.
Mamadou Ly, le directeur d’ARED, espère multiplier par dix le nombre d’élèves du programme « Ndaw Wune » l’année prochaine. Pionnière dans les approches innovantes en éducation bilingue, l’ONG avait lancé de 2009 à 2017 un programme bilingue en wolof et sérère dans trois régions du pays pour les cycles élémentaires. Elle a également élaboré des outils didactiques et assuré la formation d’enseignants pour le programme bilingue « Lecture pour tous », financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui a touché 1,2 million d’élèves dans sept régions du pays de 2017 à 2021.
Depuis avril 2022, le gouvernement a mis sur pied le programme « Renforcement de la lecture pour tous », financé à hauteur de 80 millions de dollars par l’USAID, pour réformer son système national d’éducation. Suivant la recommandation de l’UNESCO préconisant un enseignement dans la langue maternelle des enfants dès les premières années de scolarité, il projette d’adopter le bilinguisme dès la rentrée scolaire 2023-2024 pour toutes les écoles élémentaires publiques de neuf régions du pays. La mesure doit ensuite se généraliser à l’ensemble du territoire d’ici à 2028.
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