Victime, elle aussi, du réchauffement climatique. C’est un pilier de la gastronomie française qui vacille. La moutarde, troisième condiment parmi les plus consommés dans l’Hexagone, derrière le sel et le poivre, a disparu des supermarchés. Et si la solution était dans les placards des cuisiniers ouest-africains ? Du Niger à la Guinée-Bissau, on connaît bien la « moutarde africaine », un type de féverole appelée soumbala en bambara, netetou en wolof, afitin en fon-gbe et dawadawa en igbo.
Elle est produite à partir de graines de néré, un arbre nourricier des savanes soudanaises et sahéliennes aussi connu sous le nom de mimosa pourpre. La pulpe jaune de son fruit, sucrée et glucidique, est utilisée comme farine, tandis que ses graines noires sont soit cuites, fermentées et vendues sous forme de boulettes à l’odeur forte caractéristique, soit séchées, grillées et pilées pour être consommées en poudre.
Bonne pâte et pommade mais aussi…gagne-pain pour les entrepreneurs
« Utilisée sous cette forme, elle tire plutôt du côté de la noix de muscade, observe Fousseyni Djikine, cofondateur d’origine malienne des cantines BMK, à Paris. Dans nos restaurants, on l’utilise pour le mafé. Le soumbala apporte une saveur assez atypique, qui est difficile à décrire, mais qui parfume la sauce. Pour les connaisseurs, c’est ça qui fait le bon mafé du pays ! » On le croit aisément, à sentir l’arôme puissant, légèrement cacaoté, qui s’échappe de la cuisine ouverte de son restaurant du 10e arrondissement.
Mais il ne s’agit pas stricto sensu d’un substitut de la moutarde, car celle-ci est caractéristique de la cuisine française. En revanche, leur point commun est que, comme pour la moutarde, le soumbala transforme radicalement un plat ! Au contraire de la moutarde française et de ses cousins de l’Est, le raifort et le wasabi, le soumbala ne monte pas au nez. Il sert surtout de succédané d’épices dans des pays qui en sont dépourvus.
Comme on a peu d’arbres, on utilise, pour parfumer les plats, des ingrédients fermentés, du poisson pour les pays côtiers ou, justement, du soumbala. Mais pour transformer les graines de néré en une authentique moutarde africaine, il faut se retrousser les manches.
La recette de la cheffe
« Si on veut aller jusqu’au bout de l’expérience, le soumbala ne doit pas être utilisé en poudre, comme une épice, mais en pommade, comme un condiment. »
Bonne pâte, Nathalie Brigaud accepte de donner sa recette. « Vous achetez les graines de néré préparées et fermentées, et vous les écrasez avec de l’huile, du vinaigre et du citron. Vous ajoutez de la farine de manioc ou de patate douce, pour l’onctuosité, et du curcuma, pour obtenir une belle pâte jaune foncé. Vous pouvez l’utiliser fraîche pour relever une viande ou un poisson, ou la cuire et la mettre en pot, pour la conserver un peu plus longtemps. »
Si le parfum du soumbala pur peut rebuter les nez sensibles, cette moutarde africaine maison, promet la cheffe, est accessible même aux néophytes. « En fait, ça donne une moutarde presque classique… mais sans moutarde. C’est un condiment métissé, au croisement des cuisines européennes et africaines ! » « Superaliment ».
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