Il a appris à vivre avec le mystère de cette montagne de feu à Goma, à la fois fertile pour les terres et menaçante, mais Goma ne tombera jamais martèle Ben dans Nyumbani, dernier titre de son album « Vis », qui tresse la gravité de son slam avec l’allégresse des guitares congolaises et l’émotion d’un piano mélancolique dont les notes fuguent parfois vers la salsa ou le jazz.
La poésie quand même
Dans ce quotidien sombre et suspendu à un souffle, la poésie s’est effectivement frayé un chemin lumineux qui fait aussi de Goma une nouvelle capitale du slam. « Notre ville représentera même le Congo au championnat du monde cette année » jubile Ben, qui a découvert cette poésie urbaine en 2013 alors qu’il se destinait plutôt au théâtre.
« En entendant ma diction, un ami m’a conseillé de faire du slam. Sur internet, j’ai découvert Grand Corps Malade, Kery James et Abd Al Malik. Je n’ai plus lâché le micro et le stylo. Et dans les Goma Slam Session, j’ai trouvé dans le slam un fonctionnement collectif qui sublime les maux et les mots » sourit le jeune poète, qui a aussi fait des ateliers avec Gaël Faye.
En 2013, Ben Kamuntu rejoint aussi un autre collectif qui ébranle la vie sociale du Congo : la LUCHA, mouvement citoyen qui se bat pour l’accès de tous à l’eau potable, à l’électricité, à l’emploi et à l’éducation, et qui demande des comptes aux représentants de l’Etat.
La lutte et la vie
« Mon album est aussi un cri de résistance face aux espoirs manipulés. On est dans un moment de désespoir. Même un de nos présidents a dit que le Congo était mort ! Il faut allumer des lueurs d’espoir. La LUCHA c’est un mouvement de propositions et d’actions concrètes. Tous les samedis, on débouche des caniveaux et on balaye les routes pour montrer aux citoyens que nous avons tous le pouvoir de changer les choses ! En complément, l’art permet de questionner, et aussi de rêver. »
Son premier album, Ben a voulu l’appeler Vis, comme « vivre » conjugué à l’impératif pour faire face à nos existences si fragiles. Vis c’est aussi à cette petite tige de métal qui fait tenir des choses ensemble en les transperçant et en les serrant sous sa tête large. Cette « Vis » colle et bricole toutes les vies de ce jeune artiste, né en 1993, qui jamais connu la paix dans son pays.
Avec intelligence et profondeur, Vis slalome entre les thématiques de notre époque (le porno, nos écrans, l’exploitation du coltan en RDC pour nos smartphones, l’exil et les migrations, le Covid, …), il condamne les bavures policières impunies, et il demande des comptes à l’ONU, aux grandes puissances ou aux dirigeants congolais. Avec finesse et l’arme ultime de la poésie.
La figure de Luc Nkulula, un des fondateurs de la LUCHA, hante ce disque. Nkulula est décédé en 2018 dans l’incendie de sa maison, peu après avoir rencontré le président Kabila. Dans H20, avec des extraits d’interviews, Ben convoque la voix du militant pour une conversation posthume en musique.
« Luc était un frère, et surtout un modèle de courage, prêt à tout pour notre avenir car son passé et son présent étaient condamnés, selon lui. Il l’a payé de sa vie. Luc était très joyeux et très humain. Dans ce disque, j’ai voulu marier les deux faces de sa lutte ». Chez Ben aussi, la vie et l’art se confondent.
Il poursuit son engagement en créant des ateliers slam dans les écoles ou les prisons et auprès de jeunes enfants soldats, et il a monté Mlimani, une maison d’édition pour auteurs congolais. Tout est ainsi relié par un fil : les mots ! Trempée dans les hoquets du sous-sol et de la mémoire, la plume de Ben sait deviser sur les vices de nos humanités en rappelant notre seul impératif commun : vivre !
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