« Bientôt, c’est mon ‘Intronisation’, le rap ivoire en pleine domination ». Le 12 avril, un mois avant la sortie de son album, Suspect 95 publiait sur ses réseaux, une vidéo dans laquelle il révélait en musique la tracklist de son prochain album.
Les deux derniers titres sonnent comme un éloge funèbre aux années fastes du coupé décalé (2000-2019). Le clip a été tourné dans une galerie où sont exposées les œuvres de jeunes peintres en vogue, dans une ville d’Abidjan en pleine effervescence culturelle.
https://twitter.com/suspect_
La pirouette artistico-marketing est vite saluée par le « Syndicat », le nom donné à sa communauté de fans. Le rappeur travaille depuis un an et demi sur ce premier opus. Sa sortie est tant attendue que ses fans exigent de faire du 9 mai un jour férié. C’est qu’elle revêt aussi un enjeu de taille : arracher la place de numéro 1 dans le rap game ivoirien, au moment où le genre musical domine tous les autres.
Un artiste complet
Il y a un an, « le président du Syndicat » mettait le feu au FEMUA, le Festival de musiques urbaines de référence en Côte d’Ivoire, décochant quelques pas de ndombolo dans un style unique.
Six mois plus tard, le rappeur de Cocody arborait une veste de tristesse dans le clip d’Intronisation, dans lequel il se décrit comme un « dresseur de tempête ». Une tempête personnelle qui aurait pu le foudroyer : la mort de sa compagne à la fin de l’année 2020 dans des circonstances toujours inexpliquées. Ce drame a laissé le chanteur hors des circuits du show-business pendant plusieurs mois.
Un accent ivoirien et une grammaire nouchie
Dès ses débuts, Suspect se démarque avec sa voix rauque, ses punchlines grinçantes, son humour décalé et sa maitrise de la culture de rue ivoirienne.
Né en 95, comme le suggère son blaze, Guy Ange Emmanuel à l’état civil fait ses armes au lycée classique de Cocody, aujourd’hui considéré comme le berceau du rap ivoire moderne. A la fin des années 2000, alors que le coupé décalé vit son âge d’or, de jeunes freestylers hip hop se donnent rendez-vous dans la cour de cet établissement tous les vendredis après-midi entre les palmiers et la piste d’athlétisme.
« Tous ceux qui sont à la tête du mouvement aujourd’hui sont passés par le lycée classique, pas par l’école forcément, mais par les ronds de freestyle », explique-t-il. Parmi eux : une poignée d’adolescents qui deviendront les Kiff No Beat, le groupe dont est issu l’autre pilier du rap ivoire, Didi B. 15 ans plus tard, les deux hommes ont acquis le statut de « trésors nationaux » de la musique ivoirienne.
Une rivalité naissante
Pourtant, lorsque le titre Société suspecte (feat. Youssoupha) qui figurera sur l’album éponyme, est publié au début de l’année sur Youtube, les fans ne peuvent pas s’empêcher d’y déceler une rivalité naissante entre les deux maestros, le premier sous contrat chez Def Jam Universal Music Africa et le second chez 92i Africa. Avec son regard amusé, parfois critique, sur la société ivoirienne, Suspect a endossé le rôle du rappeur à texte, engagé, quand Didi B tient celui de l’enjailleur, technicien et flambeur.
Malgré son aura, le rappeur a aussi des détracteurs. Les féministes ivoiriens dénoncent régulièrement des paroles ou commentaires en ligne jugés sexistes. Le chanteur, sponsorisé par un opérateur téléphonique, a aussi été pointé du doigt récemment pour son silence alors qu’une vague d’indignation gagnait la société ivoirienne en raison de l’augmentation du prix des paquets de données mobiles.
Pas question néanmoins pour le rappeur de s’afficher avec des hommes politiques, comme les artistes en avaient pris l’habitude dans les années 2000. « C’est eux qui ont besoin de nous, et pas l’inverse » : un signe de plus de la « domination » du rap ivoire.

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