Rien ne se fait dans la précipitation, et les plus grands objectifs s’atteignent dans la persévérance. Ce vieil homme peut bien nous le faire croire. Il y a quarante-cinq ans, on prenait Yacouba Sawadogo pour un fou. Peut-être fallait-il un certain brin de folie pour croire en l’impossible ? Faire pousser une forêt verdoyante en plein désert, dans la province du Yatenga, dans le nord du Burkina Faso.
A plus de 70 ans, ce cultivateur burkinabé a réussi une prouesse : il a fait pousser près de 90 espèces d’arbres et d’arbustes sur des terres arides, des sols dégradés et stériles réputés incultivables appelés zipellés. Un long combat contre la désertification que Yacouba Sawadogo a mené à la force de ses bras, le dos courbé, avec sa petite pioche pour seul outil. Ce qui lui a valu de remporter, en septembre à Stockholm, le Right Livelihood Award, un prix Nobel alternatif récompensant ceux qui œuvrent à la mise en place de solutions pratiques pour faire face aux grands défis qui menacent la planète.
Yacouba Sawadogo, à 16 ans, était surnommé le « cancre » de la classe, mais lui, comme il l’explique, croyait à une prophétie. « Dieu m’a donné la connaissance de la terre. Pour moi, c’était une évidence, il fallait utiliser les techniques traditionnelles pour rendre au sol sa fertilité et éliminer la famine », explique-t-il en langue moré.
La famine, ce fils d’agriculteurs l’a bien connue. Dans les années 1970 et 1980, deux grandes périodes de sécheresse ont frappé la région sahélienne. « Les greniers à mil, le lait… tout était fini, il n’y avait plus rien à manger. Les vieux mouraient et les villageois fuyaient vers les villes. » Le Burkinabé choisit pourtant de rester. « J’ai su que le jour était arrivé. Il fallait que je travaille la terre, celle qui nourrit et qui soigne. C’était elle qui pouvait nous sauver », dit-il.

Yacouba Sawadogo décida alors de quitter son petit commerce de pièces détachées à Ouahigouya pour retourner aux champs de son enfance, dans le village de Gourga. Après deux années à sillonner la région à pied et à cheval pour étudier les sols, l’autodidacte se lance. Sur un petit lopin de terre, il décide de reprendre une technique de ses ancêtres, le zaï, qui consiste à creuser des trous et à les remplir de déchets organiques en saison sèche avant de semer les graines. Les termites, attirés par le compost, creusent des galeries permettant de retenir et répartir l’eau à l’arrivée des pluies. Il ajoute également des cordons de pierres autour des cultures pour limiter l’érosion et conserver l’humidité du sol.
Patience, optimisme et persévérance. Les premières années sont difficiles, il doit se battre seul contre les caprices du sable et les moqueries des habitants voisins. Son terrain est même brûlé à trois reprises. Mais le paysan burkinabé est têtu. « C’est dans le travail et la ténacité que l’on récolte les fruits de ses efforts », prêche-t-il. Après trois ans, ses rendements triplent. Petit à petit, l’oasis dont il rêvait prend forme : baobabs, papayers, pruniers et acacias fleurissent, tandis que les animaux repeuplent sa forêt de près de 40 hectares.

Agronomes et curieux du monde entier affluent désormais pour voir de leurs propres yeux l’œuvre du « grand sage », devenu une célébrité dans son pays. De quoi ravir Yacouba Sawadogo, qui ouvre volontiers les portes de sa sylve, baptisée « Bangré Raaga » (« temple du savoir », en moré) aux visiteurs.
« Mon projet est pour les générations futures. Je ne veux pas manger aujourd’hui et laisser mes prochains sans nourriture demain. Je travaille pour semer les graines de la richesse, non seulement pour le Burkina Faso mais pour de nombreux autres pays », soutient le vieil homme, père de 27 enfants. Dépourvu de titre foncier, le paysan n’a pas non plus les moyens de racheter la parcelle, estimée aujourd’hui à plusieurs centaines de millions de francs CFA. La bataille continue. « Je ne suis pas fatigué, tant que je suis en bonne santé je me battrai », répète Yacouba Sawadogo.

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